TECHNOlogos 5èmes Assises des 15 et 16 septembre 2017 : "La numérisation de l'éducation"

Deuxième débat du vendredi après-midi

Avec Anne-Lise Ducanda, Carole Vanhoute et Karine Mauvilly

Retranscription

 

Public (une habitante de Ris-Orangis) : quel est le profil sociologique des familles qui rencontrent ce problème de surexposition aux écrans ? Une raison pour que les parents mettent les enfants devant l’écran, si petits, si jeunes, alors que moi je ne l’ai pas fait, moi qui suis enseignante. Je sais qu’il ne faut pas le faire instinctivement, qu’il vaut mieux que je fasse des gâteaux avec mes enfants, que de les mettre devant les écrans. Je pense aussi qu’il y a une responsabilité de l’école, de l’éducation nationale, au sens où les parents pensent bien faire en mettant les enfants devant ces outils parce qu’ils voient un aspect éducatif – on leur a vendu ça comme ça, publicité et communication – parce qu’ils soient en avance avant d’arriver à l’école, et qu’avec ces machins ils vont apprendre plein de choses avant tout le monde, et qu’ils seront au taquet. Pour moi c’est une question politique et sociale, et l’école doit faire passer un message et notamment auprès des familles populaires. Ils n’ont pas besoin des écrans pour faire apprendre plein de choses à leurs gamins, même s’ils n’ont pas fait de longues études. Ensuite, c’est à l’école de leur apprendre des choses scolaires. Et l’école n’aura pas besoin des écrans au moins avant un certain âge.

Anne-Lise : on a eu beaucoup de détracteurs disant que c’est la « misère sociale ». Non, cela touche toutes les catégories sociaux-professionnelles. J’ai une maman qui est pharmacienne, qui rentre à 21H et qui fait garder son petit garçon par une nourrice, qui tous les jours le mettait devant la télévision, le smartphone, et la maman par habitude laissait la télé allumée. Et j’ai des parents qui sont très « geeks » qui trouvent cela drôle et ne pensent pas mal faire forcément. Seules des études pourraient constater si cela touche plus une catégorie qu’une autre ; mais tous sont concernées. Une institutrice de Sceaux (92), ville très favorisée, voit exactement les mêmes choses : maintenant j’ai un à deux autistes virtuels dans ma classe. Pour certains c’est plus la télévision, d’autres la tablette, d’autres le smartphone, il y a plusieurs dynamiques.

Carole : travaillant à Villejuif où il y a un peu plus de mixité, on voit que les parents sont « poussés » par le matraquage marketing, par tout ce que l’on met à leur disposition, et par le logo « Educatif ». Mais aussi parce que l’on est dans une société de performance ; il faut aller beaucoup plus vite que les autres. Il y a aussi les parents de csp un peu plus faible, où l'écran c’est aussi pour garder les enfants. Avant les csp faibles évoluaient avec d’autres enfants, d’autres référents, d’autres adultes. Ils jouaient dehors car ils étaient en communauté, et maintenant ils sont isolés. Nous arrivons au même résultat, ce ne sont pas les mêmes motivations et je refuse à dire que ce sont les csp faibles.

Anne-Lise : on a demandé leurs avis à des scientifiques L’académie des sciences du 17/01/2013 qui a été écrit par Olivier Oudet, Serge Tisseron, Pierre Léna et Jean-François Bac « Dans le cadre de l’éveil précoce, une tablette numérique interactive, à la fois visuelle et tactile, peut très bien avec le concours d’un adulte participer au développement cognitif du bébé. Du point de vue postural, dès 6 mois le bébé est capable de se tenir assis seul ou un peu aidé devant sa tablette. L’écran high tech est donc un objet d’exploration et d’apprentissage parmi tous les autres objets du monde réel, des plus simples comme les peluches ou les cubes ou élaborés comme les tablettes tactiles. Les tablettes tactiles peuvent contribuer avec l’aide contextuelle des parents, à l’éveil précoce des bébés au monde des écrans. C’est le format le plus proche de leur intelligence. On inventera certainement à ces tablettes numériques de multiples usages pédagogiques, cognitifs et ludiques pour les bébés, ce qui facilitera leur emploi à l’école. On sait qu’entre zéro et deux ans le bébé développe sa connaissance du monde, mais aussi sa connaissance de lui-même. Ce soi devra intégrer très naturellement et intuitivement ces nouveaux objets numériques de l’environnement familial ou de la crèche. Telles les tablettes tactiles dont on annonce déjà des formats plus souples et déformables. Les écrans et outils numériques peuvent avoir entre 2 ou 6 ans tout particulièrement pendant l’école maternelle des usages pédagogiques positifs pour éveiller et exercer les capacités d’attention, de  visuel sélectif, de dénombrement et de catégorisation. ». Quand ils entendent cela, les parents pensent bien faire. Il ne faut pas leur demander tout de suite de changer d’avis.

 

Public : je partage l’inquiétude générale. Parler d’écrans pour expliquer les aggravations récentes est un postulat un peu rapide, car cela présume que l’on est simplement dans le phénomène de la fascination visuel. Hors on sait que depuis longtemps que les écrans, ce n’est pas bon. Pour la télévision ce sont des études qui peuvent remonter à 20 ou 30 ans. Les éléments nouveaux que l’on a aujourd’hui ce sont des choses différentes : des écrans qui sont mobiles, mais aussi des écrans sans fil, et que l’on a en plus un rayonnement de champs électromagnétiques dont on commence à savoir qu’il a des effets biologiques avérés en particulier au niveau de la concentration, de l’agressivité éventuelle, … Et quand j’entends des rémissions quasiment miraculeuses, cela fait penser aussi à des personnes électro-sensibles qui en changeant d’environnement et allant dans des zones où il n’y « pas » de rayonnement, ils se sentent bien. Les études devraient prendre en compte et avec rigueur tous les paramètres relatifs aux écrans comme la source, la nature de l'écran, le type de transmission de l’énergie ou de l’information. Les enfants ont des boites crâniennes pas complètement formées jusqu’à 12 ans, permettant aux champs électromagnétiques de pénétrer plus facilement. Voir la problématique des téléphones portables

Anne-Lise : quel que soit le type d’écran, l’effet est le même. Et j’ai le même résultat spectaculaire et rapide de la rémission des troubles lors de l’arrêt des écrans, quelle que soit leur nature. Nous on est sûr de la nocivité des images et des sons. Et pour l’impact des ondes électromagnétiques, des études peuvent le dire.

 

Public : il a été présenté la rémission pour un jeune garçon. Mais en entendant cela, après tout peut-on utiliser ces appareils pour fabriquer des génies et puis de leur enlever pendant 15 jours pour qu’ils retrouvent sur les autres plans un développement normal et d’apporter un argument pour ceux qui défendent ces nouvelles pédagogies d’apprentissage précoce ?

Anne-Lise : ils répètent bêtement A B C D, blue ou red, mais ce ne sont pas des génies. Ils n'ont rien élaborés.
Carole : une des définitions de l’intelligence est de pouvoir s’adapter, et ces enfants-là ne s’adaptent pas. Est-ce que juste emmagasiner des connaissances, c’est être un génie ? Et que prendre du sens et mobiliser ces connaissances, c'est peut-être là le génie humain.

Karine : les effets des écrans sont multiples : sans parler des ondes EM, il y a aussi un effet sur la vue, la myopie qui est en train de se propager très largement avec des effets réversibles et irréversibles sur la rétine. Il y a l’effet sur le sommeil, chez ces enfants de 3-4 ans, les écrans dans les chambres enlèvent du temps de sommeil aux enfants. Dès que l’on enlève les écrans, le sommeil augmente et les résultats scolaires suivent. On a un effet sur le moral : on constate de l’anxiété, voire de la dépression. Chez des adolescents on peut constater des attitudes suicidaires. Quand on dit « écran » on n’a pas réglé le problème. On peut le régler en supprimant ces écrans. Mais après il faudrait voir l’interaction avec le sommeil, le moral, la vision, les champs EM, la coupure avec les autres.

Carole : ne pas perdre de vue que tablette et smartphone, c’est très récent pour que des études soient validées, que des commissions d’éthique se réunissent. Mais on peut se poser la question : Est-il « éthique » d’exposer un enfant 8 heures par jour à des écrans ?

 

Public (professeure universitaire), je vois depuis 20 ans un recul de l’attention. Sachant que mes élèves ont 20 ans, ils présentent les mêmes symptômes : ne plus savoir penser, à dérouler un fil. C’est toujours haché, sans d’anticipation, pas de passé, pas de sens de l’histoire ; il manque beaucoup de choses, c’est unidimensionnel. Et il faudrait aussi parler des écrans de façon plus large et pas qu’aux tous petits.

Carole : mais pour nous professionnels de la petite enfance, c’est un phénomène nouveau. Mais sûrement que les écrans ont un impact chez les adultes. Anne-Lise rajoutant que leurs collègues précisent que chez les adolescents c’est une catastrophe.

 

Public (Guillaume): quand on va vers la paléoanthropologie, on voit, dit autrement, ce que vous raconté. André le Roy Gourant décrit l’hominisation comme étant le moment où l’intelligence advient par la gestuelle. C’est le geste et la parole. Il dit : C’est avant tout par les pieds parce que l’on s’est relevé, parce que l’on a su prendre le monde intellectuellement, c’est le préhender au sens manuel. C'est ce que font les tous petits. Quand on va du côté des sciences et psychologies cognitives, on voit des expériences qui montrent que les dispositifs de suppléances perceptives, les caméras pour aveugles avec des picots, si il n’y a pas de manipulation et donc de rapport corporel au monde, les aveugles, ou des voyants à qui ont bouchent les yeux, ln’apprennent pas à servir de ces dispositifs. Il faut être capable d’être en percussion, en préhension avec le monde. Alors que si on a « la caméra entre les mains », là cela marche directement. Le rapport humain technique, la possibilité de bouger le monde, d’y accéder, est mis à mal par le numérique. Ceci peut expliquer différents types de paradoxe, comme la solitude à plusieurs, de l’information qui rend ignorant, … Le lien classique entre l’humain et la technique, qui permet exister, de  vivre dans le monde avec son corps,  est en train d’être casser par le numérique. Vous êtes aux premières loges avec les tous petits où il n’y a pas encore cette hominisation. On est en train de casser la coévolution du rapport de l'humain au monde. Ma question étant jusqu’à quand c’est réversible ?

Anne-Lise : je n’ai pas la réponse, mais pour mon plus grand que j'ai en consultation et qui a 4,5 ans, c'est complètement réversible. En Roumanie et les Etats-Unis, pour l’instant c’est 4,5 ans. Il est fort probable que plus il est grand et moins c’est réversible. Car la plasticité cérébrale entre zéro à deux ans, s’amenuise après. Autant l’environnement numérique est néfaste et négatif de façon très importante entre 0 et 2 ans, si vous enlevez les écrans, c’est d’autant plus réversible. Plus l’enfant est grand, plus la difficulté sera grande. L’enfant de 4,5 ans a complètement récupéré mais sans savoir si il aura des difficultés d’apprentissage plus tard. Un parent qui a un enfant de 6 ans diagnostiqué autiste et personne m’ayant posé la question des écrans. Il a tout arrêté et m’a demandé s’il n’est pas trop tard. Je lui ai dit qu’arrêter les écrans, ça ne peut que faire du bien à l’enfant.

Carole rapporte une étude américaine de 2014, faite à partir de deux groupes de 50 enfants dans un univers scolaire très numérisé. Un groupe est resté dans sa classe, l’autre emmené dans une classe de nature sans écran. Un exercice de reconnaissance d’émotions sur écran a été mis en place : des photos montrant des émotions humaines, avec une mesure avant l’expérience et l'autre à la fin de la classe de nature. La progression des enfants en classe de nature est beaucoup plus importante que celle de l’autre groupe. C'était des adolescents entre 10 et 15 ans à confirmer. Une réversibilité qui reste importante peut être pas pour tous, est constatée.

Anne-Lise : Il faut informer tout le monde de cette réversibilité, que l’on peut faire quelque chose, parents, professionnels de la petite enfance, …

Carole : je serais plus prudente pour les adolescents qui se sont déjà construits avant, même si des cas de redémarrage sont impressionnants. Mais quand on sait l’impact de ce réseau, de cette plasticité cérébrale qui se joue avant 0 et 3ans, où des milliards de connexions se font, la plasticité cérébrale est continue dans le temps. Mais entre 0 et 3 ans le moment où tout explose et se met en place, ce qui ne s’est pas mis en place à ce moment-là engendre des séquelles au niveau de l’enfant.

 

Public (Cédric) : face aux responsables à la banalité des écrans, scientifiques, philosophes, mettons en place des contre-feux. La problématique est autant l’usage de l’écran par les enfants autant que par les parents. Une sociologue américaine précisait dans son étude sur les rapports familiaux à l’ère du numérique, adolescents et jeunes adultes, montre la coupure, la rupture de l’attitude présentielle et des parents qui sont obligés pour capter leur attention de leur envoyer des SMS, … pour les intéresser, rentrer en contact. Oui des études anglo-saxonnes prouvent qu’avec les apprentissages numériques, les enfants arrivent à parler anglais, à compter beaucoup plutôt ; avec l’utilisation d’ordinateurs pour les bébés. Mais l’enfant n’est pas qu’un singe savant ; dans le comportement autistique on peut retrouver cet aspect, comme faire des additions très vite, des multiplications délirantes. Mais ce n’est ça se  développer, vivre en société, s’épanouir. Il y a deux visions de l’humain qui s’affrontent.

Carole : Oui, ce n’est pas ça être humain. Car l’enfant dans son environnement quotidien est-ce qu’il a besoin de tout savoir, dire en anglais les couleurs, … ? Il a besoin de demander, d’exprimer ses émotions, ses besoins, avec ses parents, avant tout. Mais ces apprentissages précoces ne sont-ils pas dans une logique d’employabilité, de performance, d’emmagasiner du savoir même si on ne peut pas les restituer ?

 

Public : On retrouve au niveau des parents, ceux qui sont totalement inconscients de ce qui se passe, les hyper-conscients, mais surtout ceux qui ont l’impression de gérer. Mais est-ce que ce ne sont pas ces derniers qui sont les plus dangereux, qui disent laisser leurs enfants accéder aux écrans mais en faisant attention, pas plus de 20 minutes par jour, les  éveillant avec d’autres manières ? Et quelle issue au sein de l’éducation nationale avec un président porté sur le numérique ?

Anne-Lise : on retrouve chez les parents toutes les attitudes. Certains disent que leur enfant est maintenant dans une telle dépendance, qu’ils sont piégés, qu’ils ne peuvent plus faire autrement que de lui laisser les écrans. Et bien sûr il y a les entre deux, qui ont l’information suffisante, en règle générale ils arrêtent les écrans. Car lorsqu’ils entendent que leur enfant peut être handicapé à vie, qu’il pourrait être refusé à l’école, les parents aimants arrêtent les écrans. Mais pour quoi ils n’ont pas été alertés plutôt face à l’éducation nationale qui dit que c’est bien, les médecins qui ne sont pas sensibilisés au problème ? Car c’est devenu un fléau sanitaire.

Carole : nous qui sommes dans le soin, notre position est confortable. Si des parents viennent nous voir inquiets, car leur enfant ne parle pas, on se retrouve avec un objectif commun, l’intérêt de l’enfant. La difficulté c’est pour tous les autres parents. Si des parents avaient eu une enfance baignée par une télévision allumée en permanence, il sera difficile pour eux de réagir efficacement, la dépendance étant pour toute la vie.

Karine, Anne-Lise : rappelons les quatre pas pour mieux grandir portés par Sabine Duflo. On est dans une gestion familiale, et vous êtes tenu de prendre en compte tous les membres, du grand frère qui joue à un jeu numérique, du papy qui est sur sa chaine d’informations préférée.

Ces quatre pas sont issus de l’association américaine de pédiatrie.

 

Public : qui doit porter la responsabilité : des fabricants, l’éducation nationale, ou des lobbys ?

Anne-Lise : avant toute notion de responsabilité, il a déjà la prévention. Sur des jouets, il y un sigle comme un dessin de bébé barré pour expliquer que le jouet n’est pas destiné entre 0 et 3 ans, car il peut s’étouffer avec. Ce que je souhaite c’est que sur les écrans, il y ait aussi ce même signe interdit au moins de 3 ans. Ensuite, il faudrait faire des campagnes de prévention, car quand les parents vont s’apercevoir que leur enfant est autiste, ils vont peut-être se retourner vers les fabricants. Un autre message à diffuser est que le coût pour accompagner ces enfants est très important.

Carole : ces inventions extraordinaires peuvent aussi être portées par les parents eux-mêmes. Comme des supports à smartphone pour les biberons qui ont été conçus pour répondre à des parents américains : « Pourquoi choisir entre donner à manger à son enfant et consulter ses mails ? ». S’attaquer aux responsables commerciaux, aux distributeurs, mais aussi lutter contre « un enfant cela demande du temps, ça nous prive de beaucoup de choses et c’est embêtant » qui entraine cette dérive de l’écran. On citera aussi le pot-tablette. Le danger est peut-être cette espérance dans les outils numériques à nous dispenser de faire quelque chose. « Ça rend des services » et ça les dépossède de leurs propres ressources. Je trouve cela très inquiétant pour notre propre humanité.

Anne-Lise : le mauvais côté, c’est que la  situation est grave, mais le bon côté c’est que cela va faire bouger.

 

Public : est-ce que vous avez porté cette question auprès des CNPP et CMP ?

Anne-Lise : nos détracteurs même si ils reprennent un peu de nos écrits ou paroles, comme « le bébé ne peut évoluer que si on s’adresse à lui » réfutent toujours que « les écrans sont une addiction » et la notion d’autisme virtuel. Et ils pensent que ce sont des parents en misère sociale qui sont confrontés à ce fléau, ce qui n’est pas vrai. Des présentations ont été faites aux CNPP et CMP, mais sans les convaincre. Certains pensent que c’est ne sont pas les écrans le problème, mais le lien dégradé du rapport mère-enfant qui met le petit devant l’écran. La majorité des parents comprennent et arrêtent les écrans, même si parfois un soutien psychologique peut être utile. Le souci c’est l’approche tout psy ou tout psychanalytique dont les CNPP et CMP font appel, malheureusement.

Carole : les soignants du Centre Médical Psychologique de Villejuif, face aux nombreuses demandes de consultations néanmoins, font le même constat, et m’envoie des petits enfants. Ils ont intégré dans leur consultation cette problématique de l’utilisation des écrans.

Anne-Lise : des professionnels de santé de ces centres sont d’accord, mais ce n’est pas la majorité ; cette approche est nouvelle pour eux et cela remet en cause leurs façons de faire. Du fait du nombre de cas, il y a des temps d’attente très long – un an et plus -  pour que les enfants soient pris en charge, alors qu’ils vont très mal.

 

Public : si on fait un parallèle avec les OGM et les brevets sur le vivant, à partir du moment que l’industriel a eu le feu vert de l’état pour mettre quelque chose sur le marché, il peut dire ensuite que tout a été fait en fonction des connaissances de l’époque, des critères scientifiques. Et donc si quelqu’un peut être attaqué c’est l’état. Tous les contradicteurs ne sont pas des personnes ayant des intérêts, mais aussi ceux qui ont foi dans le progrès, ou dans la machine. Et cette attitude peut-être pire.

Public : les associations de parents d’enfant autiste, trouvent que les écrans, les ordinateurs, sont merveilleux car comme les enfants ont du mal à écrire, et on les met devant avec l’assistante AVS.

Carole : pour les enfants véritablement autistes, ayant des difficultés très spécifiques, touchant une fonction, les outils numériques constituent un outil de compensation génial. Mais aujourd’hui les diagnostics sont posés un peu rapidement. On trouve dans le circuit du soin et dans le médical, des enfants, qui si on proposait l’arrêt des écrans, n’auraient pas ces troubles. L’outil numérique comme que moyen thérapeutique, cela peut se discuter mais dans un cadre pluridisciplinaire. Dans ce contexte, pour certains parents l’outil numérique est un droit ; mais si leur enfant ne relève pas du handicap mais de la surexposition aux écrans, l’outil numérique n’est pas nécessaire. Et tout professionnel doit pouvoir l’énoncer clairement.

Anne-Lise : parmi tous les enfants qui sont en difficultés, dyslexiques, dyspraxiques, il faut interroger les écrans. Les troubles de l’attention explosent ; quand les enfants sont longtemps devant les écrans, ils ne se concentrent plus, ils ne se posent plus. Nous c’est ON/OFF. Dès que l’on arrête les écrans, l’enfant se pose, il est calme, il se concentre. Pour une partie des troubles de l’attention auxquels on donne un ordinateur, si l’enfant n’a jamais tripoté avec ses doigts, il va avoir du mal à écrire avec un crayon. On conclut qu’il est dyspraxique, et on lui donne un ordinateur à l’école : c’est le monde à l’envers. Il faut d’abord savoir si ce sont les écrans, la cause. Si c’est le cas, on les enlève. Si ce sont d’autres causes, on peut alors le remettre devant un écran, pour compenser.

Par rapport aux enfants autistes, j’ai beaucoup de retours négatifs dès que je fais une interview dans les médias. La réaction des parents est compréhensible : on leur a dit que leur enfant est autiste, que c’est un trouble neuro-développemental de naissance et qu’ils n’y sont pour rien. Et je suis en train de leur dire que c’est peut-être leur environnement qui a provoqué cela ; c’est inentendable pour eux. On m’a souvent accusé avec mon discours de culpabiliser les parents, ils n’ont pas été informés. Quand ils arrêtent les écrans, les parents reprennent leur place. La mère d’Hugo a pris un congé parental et est ravi de s’en occuper, d’imaginer que son rôle était aussi important. On sort l’enfant des soins, orthophoniste, psychologue, ..., et des écrans. Alors que pour les autistes virtuelles, les parents ont un rôle primordial à jouer ; c’est bien une demi-heure avec la psychomotricienne, mais que jouer avec l’enfant, le chatouiller, le sortir dehors, le faire toucher des choses douces, rugueuses, pour éveiller tous ses sens, ils peuvent le faire toute la journée et que c’est eux les principaux rééducateurs de leur enfant. Ils ne sont pas culpabilisés, au contraire, ils sont ravis, ils ont retrouvé leur rôle de parents, ainsi que leur sourire. L’enfant va recommencer à se redévelopper grâce à ce que le parent va faire avec lui.

 

Public : en ce moment la psychanalyse n’a pas le vent en poupe, car ils n’ont pas intégré les problèmes posés par la technique. Mais il y a une histoire de désinvestissement, avec ou sans les écrans.

Anne-Lise : c’est vrai que pour de multiples raisons, le parent va penser que l’enfant est autonome, et qu’il n’a pas besoin de lui. Il l’aime, il n’y a pas de problème de lien, mais il ne pense pas que l’enfant a tant besoin de temps, ensemble. Il pense bien faire avec les petits jeux éducatifs, et peut-être culpabilisé un peu car il fait autre chose pendant ce temps-là. Mais dès que l’on leur conseille d’arrêter les écrans, il a y un déclic chez les parents. Le lien parental n’était pas coupé. Le fait que le numérique est envahi toute leur famille - la tablette offerte à l’anniversaire ou à Noël -, ils pensaient que cela était bien. Mais petit à petit, cela nuit à la relation parent-enfant. Lorsqu’on leur explique, on voit des parents, des mamans aimantes, et ils repassent beaucoup de temps avec leur enfant. Dans la majorité des cas, ce n’est pas un problème de lien.

Carole : toute caricature est à proscrire. Mais au niveau du développement de l’enfant, tout peut être multifactoriel. Mais l’exposition précoce aux écrans, cumule des facteurs qui sont fondamentaux dans le développement.

 

Public : pourquoi, c’est la maman qui a pris le congé parental ? Le papa n’est pas concerné par l’autisme ? Car vous citez souvent la maman

Anne-Lise : dans la famille d’Hugo, le papa travaillait beaucoup. Mais vous avez raison c’est le papa et la maman qui sont très important.

 

Public : On ne peut pas nier que la mère à un rôle très spécifique dans la toute petite enfance, aussi égalitariste que l’on soit.

Anne-Lise : le New-York Times a sorti en 2014 un article de Nick Bilton portant sur une enquête dans la Silicon Valley, et qui interrogent les cadres. Cet article de trois pages explique qu’ils ont fabriqué les outils et qu’ils connaissent les méfaits, mais ne veulent pas que leurs enfants soient soumis à cela. Et que chez eux ils ont établis des règles très stricts – Bill Gates ayant attendu 14 ans pour que son enfant ait un smartphone ; les autres disant pas d’écran la semaine seulement le week-end. Steeve Jobs, lorsque « iPad » est sorti, avait demandé que ce soit accompagné de recommandations ; mais cela n’a pas été fait. Ils expliquent que cela n’a aucune utilité d’apprendre à l’école à savoir se servir des outils numériques. Les enfants savent tous le faire à la maison, sachant qu’ils ont conçu les outils numériques de telle sorte que ce soit facile à apprendre. L’article dit qu’ils ont conçu les outils numériques qui inondent la planète, mais n’en veulent pas pour leurs enfants.

 

Public : en complément de votre démarche de formation auprès des professionnels du soin, conscientisation et information,  avez-vous prévu de le faire aussi dans les écoles de formation du journalisme ? Dans le cadre de ma formation, et d’un cours sur le journalisme en ligne en 2009, j’ai souvenir de l’intervenant parlant de la vieille télévision qui déverse et impose la même information à toute la famille, et que l’avenir du journalisme est que chacun choisisse son programme. Ce qui est maintenant une réalité possible.

Carole : dans mon activité professionnelle je vois des vrais gens, des familles. Participant au collectif, j’ai aussi créé une association. Dirigeant des mémoires d’orthophonie, avec des sujets comme les écrans en maternelle, il y a énormément de choses à faire. Et effectivement, il y a une réflexion à porter dans tous les corps de métier. Si un sujet d’études comme le  lien entre journalisme et orthophonie, je m’engage à le soutenir.

Anne-Lise : il y a tellement de personnes à former ! J’aimerai bien intervenir dans les études de médecine, sages-femmes, orthophonistes, tous ceux qui interviennent auprès des enfants. Mais les journalistes pourront regarde le documentaire sur Envoyé spécial (2018).

 

Jean-François : Je remercie vivement nos intervenantes et nous allons pouvoir ensuite regarder le film « Ecran global ».