TECHNOlogos 5èmes Assises des 15 et 16 septembre 2017 : "La numérisation de l'éducation"

Les écrans partout : un état des lieux au quotidien

Par Anne-lise Ducanda

Retranscription

 

Le constat

Dans une ville de 30 000 habitants, j'ai menu une étude portant sur les 981 enfants des moyennes et petites sections. On me signale 13% d'enfants en très grande difficulté, incapable de rentrer dans l'apprentissage scolaire, soit 3-4 par classe, 26% de filles et 74% de garçons. Les troubles graves que l'on me signale, ce sont des enfants :

Les enfants peuvent avoir une combinaison de ces troubles.

Question posée aux parents : mais qu'est-ce qu'il fait à la maison ? "Il adore aller sur Youtube (site de vidéos), il télécharge des dessins animés ; il est très intelligent, car nous les parents on n'y arrive pas. Il fait des petits jeux éducatifs, il sait compter 1 2 3 et dit les lettres A B C".

Mais il ne répond à son prénom quand je l'appelle ; c'est un enfant qui ne parle pas, à part dire 1 2 3 A B C D. On voit des enfants qui parlent anglais. Mais si ses parents ne parlent pas cette langue, c'est que l'enfant est surexposé aux écrans. Toutes les petites applications éducatives leur font répéter en anglais les mots et les lettres de l'alphabet. Les parents pensent qu'il apprend l'anglais et le mettent devant l'écran pour qu'il apprenne. Pourquoi ? En 6ème il faut de moins en moins d'échec scolaire, et il faut apprendre les socles fondamentaux lire et écrire. 74 % des parents pensent que plutôt le bébé sera devant les nouvelles technologies et plutôt il sera compétent dans le monde de demain. Et donc l'enfant est devant le smartphone - il adore - et les parents à 90% confirme que par habitude la télévision est allumée même si ils ne la regardent pas. Lorsque l'enfant joue dans le salon à emboiter ses cubes à coté de de la télé qui est allumée, les parents pensent qu'il ne la regarde pas et que cela n'empêche pas le cerveau de se développer.

Il a beaucoup de médecins qui ne sont pas encore sensibilisés. Une maman me disait que son médecin ne se préoccupait pas de savoir si son enfant regardait la télévision. En fait la télé est allumée toute la journée.

Dans les cas les plus graves, on reconnait les troubles d'autistique ; des médecins roumains et américains, parlent d'autisme virtuel lié à la surexposition aux écrans (voir reportage TF1). Ceci représente 36% des enfants en difficulté, soit entre un et deux par classe. Ces enfants rentrent dans le circuit de l'handicap avec constitution de dossiers MDPH dans les écoles pour demander une AVS, car l'enfant sans cette aide est en danger - grimpant sur les tables, les chaises, s'enfuyant, griffant leur petit copain. Il ne fait rien sans personne à côté : pour faire le rond, la maitresse doit lui prendre la main. Des enfants peuvent rester le pinceau à la main toute la journée. Des maitresses utilisent des mots un peu dur en disant que c'est un enfant « téflon », ça glisse sur lui, il y a rien qui se passe, il est inexpressif comme cet enfant de 4 ans qui restait assis sur sa chaise dans sa classe sans rien faire pendant plus d' une année scolaire. Si vous lui preniez le bras pour aller aux toilettes il y va, et si vous ne lui repreniez par le bras pour aller à la cantine, il reste sur le banc devant les toilettes. On a des troubles massifs.

On utilise le terme d'autisme virtuel, qui a fait polémique, car ce ne sont pas des autismes classiques. Ce qui est « positif » c'est que les enfants étant surexposés aux écrans, lorsque l'on dit aux parents "est-ce que vous pouvez arrêter les écrans", et qu'ils ne les allument plus, le résultat est « miraculeux ». Un enfant de 4,5 ans diagnostiqué « autisme  sévère » par l'hôpital, après un mois sans écran, ne présentait plus de troubles autistiques ; il parlait, il interagissait. On parlait même de lui faire sauter de classe tellement il était bon à l'école. Ce sont des autistes et des autismes qui sont complètement réversibles dès l'arrêt des écrans. Il faut bien faire la différence avec l'autisme même si on est en opposition avec des personnes qui n'ont pas intérêt à ce que l'on dise cela : ce sont des autismes virtuels.

Le développement de l'enfant

Lorsque le bébé naît, c'est une page blanche et il a très peu de connexions cérébrales. En deux ans des milliards de connexion se forment, mais elles ne peuvent se former que si l'enfant est en interaction avec ses parents et le monde réel. Il est impossible que son cerveau se développe avec un écran. Son cerveau va analyser ses gestes en interaction avec l'environnement comme par exemple, lancer une balle jusqu'au fond de la pièce ; la balle roule faisant un bruit. Et tous ses sens, la vision, le toucher, ..., sont en éveil et ce sont ces perceptions sensorielles qui vont développer ses connexions cérébrales. Les parents peuvent être fiers de leur enfant s'il empile des cubes avec une tablette, mais il est incapable de mettre un vrai cube sur un autre. Depuis la mise en ligne de la vidéo, j'ai eu beaucoup de retours de parents, d'enseignants, de professionnels qui me demandent des conseils, des interventions. Et beaucoup d'enseignants me disent constater les mêmes choses au niveau des petits.

Une directrice me signalait qu'elle avait des enfants qui ne peuvent pas serrer leur doigts ; elle appelle cela les « mains papillons ». Ils ont tellement le smartphone et la tablette dans les mains - d'une main ils tiennent et de l'autre, ils font le geste comme sur un smartphone de glissement, de battement-, qu’ils sont donc incapables de fermer les doigts et de tenir le crayon. Le développement de la motricité fine - ce que l'on fait avec les mains - cela se fait en manipulant. Le petit bébé, il touche, il attrape à partir de 5-6 mois, et avec le smartphone ou la tablette il n'exerce pas sa motricité. Il n'exerce pas non plus la distance « œil - main ». Il est très important qu'il se rende compte de cette distance là pour apprendre à lire et à écrire avec le crayon. De plus les « enfants écran » ne peuvent pas tenir le crayon. J'ai des maitresses qui mettent des chouchous autour du doigt de l'enfant et du crayon pour qu'il le tienne dans la main. Sinon le crayon ne tient pas : l'enfant n'a pas la force et l'idée de fermer les doigts.

Dans les autres troubles, il a aussi celui de l'alimentation. Il faut rappeler que les écrans sont arrivés dans les familles sans mode d'emploi et sans préconisation. Et personne n'avait pensé que cela ferait autant de dégâts sur la santé des enfants. Les parents se disent, je suis moderne ; on va leur mettre des petites comptines. On ne chante plus des petites chansons aux enfants. Cela décharge les parents parce qu'ils ont autre chose à faire ou sont fatigués, mais pensant bien faire car l'enfant est en train d'apprendre « à lire » 1 2 3 4, en français, en anglais et dans toutes les langues du monde. Et les parents ne pensent pas mal faire.

Il y a un pouvoir de séduction des écrans comme une « drogue », l'enfant est complètement capté par l'écran et ne voit rien d'autre de ce qu'il existe. Ses flashs de stimulis auditifs et visuels qu'il reçoit, le bombardent et lorsqu'il n'en a plus, il les recherche. Et l'enfant qui passe 2 à 4 heures par jour devant un écran, ne peut plus s'en passer. Si vous lui enlever, il se cogne la tête contre les murs, au sol, il hurle, il crie. Et la seule façon de le calmer est de lui remettre l'écran. J'ai vu un petit garçon de 2,5 ans diagnostiqué autisme sévère, dont la maman me disait qu'à trois mois il ne buvait pas son biberon, qu'elle avait tout essayé. Manger pour une maman est très important. Beaucoup de parent nous disent que lorsque l'enfant est devant une tablette, ils arrivent à le nourrir. En fait l'enfant ne mange pas, il est rempli. Il ne prend pas conscience qu'il ouvre sa bouche, que l'aliment est de la purée ou du poulet, et qu'il est en train de faire tous les mouvements : je mets à la bouche, je mastique, je digère. On remplit les enfants, mais ils sont complètement captés par l'écran. A l'hôpital, dans les services de soins douloureux, on utilise des écrans pour le détourner de la douleur, car devant l'écran il n'a pas conscience de son corps. Mais dans la vie de tous les jours, l'écran pose alors des problèmes considérables. Alors ce petit bébé qui mange, il ne prend pas conscience qu'il mange. A l'âge où il devrait mettre les cubes dans la bouche et s'exercer à « je le prends, il est mou, il est dur » et que le cerveau reçoive toutes ses sensations, l'enfant ne met pas à la bouche, ne serre pas les mâchoires sur l'objet et ne peut ensuite manger de morceau. On a encore des enfants de 3-4 ans qui sont encore au biberon et qui ne peuvent prendre que du liquide.

On voit donc des troubles spectaculaires sur toutes les compétences de l'enfant et un piège est en train de se refermer sur les parents. Au départ, ils ne pensaient pas mal faire, ça aide l'enfant à manger, ça le distrait dans la voiture. De même dans les salles d'attente cela permet à l'enfant d'être sage, d'être calme. Mais malheureusement, il ne peut plus s'en passer. Certains disent il suffit de limiter les écrans. Oui, mais les parents disent que c'est extrêmement dur. Mais je dis aux parents ne commencer pas, même 30 minutes. Il n'a pas besoin de tablette, il ne peut pas apprendre avec l'écran. Il ne peut apprendre qu'en étant en interaction humaine et avec l'environnement. Ce que l'enfant doit apprendre c'est l'interaction avec ses parents ; le lien d'attachement qui lui permet de découvrir le monde en toute sécurité ne peut pas se faire avec un écran.

Rappel de la tribune parue dans Le Monde du 31 mai : les ravages faits par l'écran chez les tous petits et que les écrans sont une expérience de type « steel face » répété. L'enfant a besoin d'être regardé par son papa et sa  maman et qu'ils réagissent à ce qu'il fait, ce qu'il dit, ce qu'il vit. Il fait des sourires, il tend son petit pied, et la maman répond. Il est content, il fait un petit sourire et ces tous ses échanges émotionnels le font grandir. C'est extrêmement important.

Vidéos commentées

On imagine qu'une maman joue avec son enfant, lui sourit, échange des babillages. Et lorsqu'elle reçoit un mail ou un sms, elle regarde son smartphone et cela coupe complètement la relation avec son bébé. Et c'est dramatique si cela se répète.

Si on fait l’expérience  de demander à la maman, après avoir échangé avec son enfant, de se retourner, puis de montrer ensuite un visage sans émotion. Le bébé fait tout ce qu'il peut pour retrouver sa maman, il sourit, montre du doigt, pousse des cris, et la maman ne réagit pas comme si elle était sur son smartphone. Le bébé devient désorganisé et stressé devant sa maman impassible. Après avoir arrêté l'expérience, le bébé retrouve sa maman et la maman son bébé. Ce lien entre le bébé et les parents est capital, et il est extrêmement compromis en 2017, car il n'y pas que les bébés qui sont sur les écrans, les parents avec leur smartphone, la  tablette, la télévision. Et ce « steel face » est permanent. Il y a un appauvrissement permanent des interactions avec les parents et ils sont souvent entrecoupés car les parents sont sollicités par leurs écrans. Une campagne en Allemagne en mars 2017, montrait deux parents avec leur smartphone et leur bébé à  côté. Un parent disant qu'en rentrant le soir, il continuait à recevoir des mails, qu'il n'y avait plus de frontière entre privé et  professionnel et que l'on arrive à faire de plus en plus de choses avec un smartphone (réserver, consulter, commander). Mais lorsqu'on a un petit bébé à coté cela pose problème. Une petite fille de 5 ans dans cette étude disait qu'il faudrait qu'elle sonne ou qu'elle vibre pour que sa maman s'intéresse à moi. Un petit garçon de 7 ans dit, "s'il y avait un incendie dans la maison, je suis sûr que c'est le téléphone que mon papa irait chercher le premier". Les enfants, les grands souffrent de ce que leurs parents soient de plus en plus sur leurs écrans et leur parlent moins, s'intéressent moins à eux. On ne se rend pas compte mais l'écran provoque un appauvrissement de l'interaction parent-enfant, essentiel à l'enfant. Le phénomène addictif, je le vois à travers de ce que les parents me racontent. Il ne peut pas s'endormir, se lever sans écran. Il se lève dans la nuit, vient dans notre chambre prenant notre smartphone, se cache sous le lit et va sur Youtube. Et beaucoup d'enfants allant sur ce même fournisseur, ne répondant pas à leur prénom, présente des troubles de type autistique. Ils sont incroyablement compétents sur les écrans, mais toutes les autres compétences ne se développent pas.

Compléments

En prévision : un film avec Envoyé Spécial où l'on suit un petit garçon qui est déscolarisé, avec une maman aimante qui a envie de bien faire. Elle a arrêté tous les écrans, provoquant pleurs et cris mais au réveil sans réclamer d'écran il a prononcé maman - cela faisait un an qu'il ne l'avait pas prononcé - et fait un câlin. La maman confirmant que depuis qu'elle avait arrêté les écrans il ne s'est plus cogné la tête, faisait attention à ce qu'il mange, il choisit, il goûte. L'enfant qui n'est plus devant l'écran redécouvre le monde et ses parents, comme si il se réveillait.

Grâce au département de l’Essonne, je vais pourvoir maintenant consacré 60% de mon temps à la formation vers les professionnels de l’enfance.

Le site de l'association COSE : http://www.surexpositionecrans.org/