Comment articuler l’arrêt du nucléaire avec la lutte contre l'éolien industriel ?
Exposé de Nicole
Beaucoup d'antinucléaires (et notamment le Réseau Sortir du nucléaire) demandent une « sortie du nucléaire », et pas son arrêt, ce qui est bien différent. Car la « sortie » du nucléaire est en général pensée comme une substitution progressive par les énergies renouvelables.
Le scénario Négawatt, notamment, qui fait référence et qui a été conçu par des ingénieurs et techniciens promoteurs d'énergies renouvelables, propose une sortie du nucléaire subordonnée au rythme de développement des renouvelables. Chez les Verts, on est ainsi passé d'un scénario de sortie en sept ans en 1990 à une sortie en vingt ans trois décennies plus tard...
Dans cette conception des choses, les énergies renouvelables doivent être promues à tout prix, les modalités de leur développement, et l'éolien industriel notamment, ne sont pas un sujet !
Mais l'autre problème, avec cette idée de sortie progressive, c'est que la dangerosité spécifique du nucléaire, qui devrait rendre son arrêt immédiat incontournable, est toujours plus refoulée.
Or le nucléaire n'est pas une source de production électrique comme les autres :
- il repose sur l’utopie de pouvoir disposer un jour d’une énergie illimitée (pensée encore en vigueur dans les têtes des ingénieurs d’Iter et dAstrid) ;
- il est totalement imbriqué avec le nucléaire militaire et son immense capacité de destruction : à la fois sur le plan technique, de la recherche et sur le plan économique (le marché potentiel du nucléaire civil justifie l'investissement dans le nucléaire militaire des sous-traitants) ;
- il produit des déchets radioactifs pour des dizaines de milliers d'années, dont on ne sait que faire (cf. le projet fou de Cigeo) ;
- il comporte le risque d'une immense catastrophe (une tous les dix ans, statistiquement parlant...) Or ce risque ne cesse d'augmenter en France, du fait du vieillissement des réacteurs (construits tous en l'espace d'une dizaine d'années, ils arrivent tous en fin de vie), du recours à la sous-traitance qui se traduit par une perte de compétences et une sécurité dégradée, et du départ en retraite des techniciens qui ont accompagné la vie des centrales.
L'arrêt immédiat du nucléaire est donc un impératif.
Les moyens pratiques d'un arrêt immédiat du nucléaire en France ont été pensés par différents collectifs, notamment au sein du réseau Arrêt du nucléaire (ADN). Et ces moyens ne reposent pas sur le développement tous azimuts des renouvelables.
Compte tenu du fait qu'en France le nucléaire fournit 80 % de la consommation électrique, pour l'arrêter il faut nécessairement penser :
- à réduire drastiquement la consommation d'électricité, en supprimant toutes les formes de gaspillage et en réservant l'électricité à ses usages spécifiques (supprimer le chauffage électrique, notamment). NB : arrêter les réacteurs et l'usine de retraitement de Malvesi permet déjà en soi de réduire la consommation de l'équivalent de la production de trois réacteurs ;
- pendant le temps de transition nécessaire, à recourir aux centrales thermiques encore existantes et à construire (c'est rapide) des centrales modernes à gaz peu émettrices de GES.
Malheureusement, la focalisation actuelle sur le réchauffement climatique fait que cette option semble devenue indéfendable. Et pourtant il faut regarder les chiffres : au niveau mondial, la substitution du nucléaire par du thermique équivaudrait à une augmentation de 1 % des émissions de gaz à effet de serre. L'essentiel de ces émissions est dû aux transports et à l'agriculture, c'est donc au transport routier et à l'agriculture industrielle qu'il faut s'attaquer.
Une autre solution, avancée par le groupe ADN Savoie qui l'a étudiée de près, serait de recourir au marché européen de l’électricité (toute l'Europe jusqu'à la Russie est désormais interconnectée), car l'Europe se trouve en situation de surcapacités électriques : importer de l'électricité massivement permettrait un arrêt immédiat du nucléaire sans attendre que la nécessité d'une réduction significative de la consommation électrique finisse par s'imposer dans les têtes et se concrétiser.
Compléments et réactions des participants
- Isabelle : Il faut relativiser l’argument du vieillissement des réacteurs : Tchernobyl et Three Mile Island étaient des réacteurs neufs.
Sur « comment on va arrêter » : on est toujours dans des scénarios de sortie. La question est plutôt : comment le faire, socialement et politiquement. - Malo : Ici, on n’utilise pas d’énergie nucléaire, on est déjà sortis du nucléaire, grâce à notre éolienne artisanale. C'est ça, là la solution pour sortir de la société nucléaire.
- Isabelle : Il faut parler du rôle du Réseau Sortir du nucléaire (RSN), qui inclut tout le monde, y compris EELV. RSN transforme la volonté antinucléaire vers le lobbying (stratégie détruite par Sarkozy/Lauvergeon). RSN est l’instrument du pouvoir !
Sur la question de l’imaginaire : pourquoi Auschwitz est classé crime contre l’humanité et Hiroshima « acte libérateur » ? - Nicole : Pas d’accord avec Malo : l'idée d'autoproduire son électricité chacun dans son coin, qui était défendue par les premiers écolos dès les années 1970, n’a pas empêché le gouvernement de construire 58 réacteurs nucléaires. La question du rapport de forces ne peut être esquivée.
- Bernard : Sur l'écologie, nous sommes dans le « constantinisme ». Comme l'empereur Constantin qui déclarait : « Les chrétiens, c’est nous ! » (pour en finir avec la dissidence chrétienne, il a fait du christianisme une religion d'Etat), le pouvoir en place déclare aujourd'hui : « L’écologie c’est nous ! ».
Du MOX militarisé a été livré par la France au Japon. - Nine : Les différentes options ne s'opposent pas.
L'électricité peut être comparée à la monnaie : elle permet de faire circuler et d’organiser la production industrielle et la consommation de façon centralisée. On peut faire le parallèle entre la Société financiarisée et la Société électrifiée.