TECHNOlogos 4èmes Assises des 16 et 17 septembre 2016 : "Technique, Médecine et Santé"

Le soin à outrance ou la négation de la santé

Par Joël Spiroux de Vendômois

Retranscription : Michel Cucchi

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Résumé

Joël Spiroux explore la différence à établir entre soin et santé, en insistant sur l’impasse d’une promotion de la santé par la technoscience. Entraîné dans une dynamique techno-industrielle pourvoyeuse de nuisances d’ampleur inédite, notre système de santé s’éloigne de sa mission fondamentale de protection des personnes et des populations. La résolution de cette contradiction réside dans une refondation écologique de la santé passant par la salubrité des modes de production et par la protection des équilibres vitaux de l’environnement.

Introduction

Nous n’avons jamais eu en France de système de santé, de ministre ou de ministère de la santé. Nous ne faisons que du soin. Certes, nous le faisons apparemment bien, grâce au développement des techniques diagnostiques et thérapeutiques. Nous autres médecins avons été formés, et même formatés, dans cet objectif. Mais la santé, c’est bien autre chose, comme le précise la définition de la santé donnée par l’OMS en 1948 : l’état de santé est un état de bien-être physique, psychique et social, et pas uniquement l’absence de maladie. La loi dite HPST de 2009(1) devait inclure cette définition dans la loi, mais celle-ci a été rejetée par les sénateurs, en arguant que le bien-être était une affaire de bonheur. Mais ces braves sénateurs n’ont pas compris que le mal-être physique au travail – toujours le même mouvement – se traduit par des troubles musculo-squelettiques qui fournissent un grand nombre de pathologies professionnelles ; que le mal-être psychique se traduit par un certain nombre de suicides sur le lieu de travail, comme à France-Télécom ou dans les hôpitaux. Nos élites n’ont pas compris la notion de bien-être et surtout la notion de santé.

Les limites de la santé par le soin

Un fossé sépare le soin et la santé, dont la conception est amenée à évoluer au sein d’une société démocratique développée, en tenant compte en particulier de la préoccupation commune de rester en bonne santé. De nos jours, elle doit être entendue selon le tryptique comportant l’absence de maladie, mais également l’accès au bien-être et l’épanouissement de la personne. De ce point de vue, les soins permettent apparemment de recouvrer la santé, encore faut-il définir précisément ce qu’il faut entendre dans la notion de soin.

Dans les années quarante, la découverte des antibiotiques, les soins de la périnatalité, la chirurgie, le développement des matériels et des méthodes diagnostiques et thérapeutiques ont permis une augmentation de la longévité. Mais le fond de progrès continu de l’espérance de vie a commencé à être parasité dès les années soixante par l’apparition de pathologies qui n’existaient pas auparavant. Une simple rançon du progrès, pouvait-on alors penser. Un demi-siècle plus tard, nous mesurons mieux en quoi le traitement des fausses couches par le diéthylstilbœstrol (Distilbène®) entrepris à cette époque constitue aujourd’hui encore une catastrophe sanitaire qui dure : les pathologies induites continuent de se manifester à la troisième génération (les arrières petites filles « distilbène » ont des malformations ou des susceptibilités de cancer, et les arrières petits fils « distilbène » ont des troubles autistiques). Cette catastrophe sanitaire n’est que la sentinelle d’une catastrophe plus générale et toujours en cours, celle des pathologies dues aux xénobiotiques, à l’origine de ce que nous désignons par « pathologies environnementales » mais qui sont bien les conséquences de l’activité industrielle, que celle-ci se prévale du soin aux plantes (produits dits « phytosanitaires », en fait des « pesticides » dont l’étymologie nous renseigne) ou du soin aux hommes (empreinte écologique, résidus médicamenteux, rayonnements ionisants, etc.). D’autres pathologies qui n’existaient pas sont apparues, en commençant par celles qui sont produites par l’industrie. Nous trouvons dans ce registre des maladies non plus découvertes mais inventées, supports de nouveaux motifs d’intervention de l’industrie du soin, telles que l’andropause ou la ménopause, qu’il s’agit de traiter ad vital aeternam. C’est bon pour l’économie. On peut ainsi prescrire la pilule aux jeunes femmes de 14 ans à 45 ans, puis un traitement post-ménopausique de 46 à 99 ans… Il faut également mentionner la morbidité et la mortalité liée aux actes de soin eux-mêmes, appelées iatrogènes, actuellement à l’origine de 10% de la mortalité totale (troisième rang des causes de mortalité dans les pays industrialisés) [9] [10]. Elles sont liées aux erreurs médicales (erreurs de diagnostic, erreurs de prise en charge, prescriptions injustifiées), au dispositif de soins (comme les infections nosocomiales, qui touchent 5% des hospitalisations en France [11]) et aux conséquences non assumées de l’industrie du soin dans son entièreté (comme l’antibiorésistance, directement liée à l’irresponsabilité des prescripteurs vétérinaires et médicaux, ou encore le scandale du Médiator® lié à la dissimulation de la toxicité du produit par l’industriel). L’ensemble de ces facteurs contribuent au déclin déjà amorcé de l’espérance de vie en bonne santé (62 ans pour les hommes, 63 ans pour les femmes), ce qui signifie au passage que le recul de l’âge de la retraite à 65 ans mettrait au travail une population à l’état de santé de plus en plus dégradé, avec son cortège d’arrêts de travail, son mal-être et sans doute de moindres performances.

Du point de vue de la santé humaine, le soin (« cure ») est donc fondamental pour aider à recouvrer la santé, mais dans l’ensemble le recours à l’industrie du soin constitue un pis-aller, voire un aveu d’échec puisqu’il témoigne du fait que les conditions pour un maintien en bonne santé ne sont pas réunies. Le souci premier de notre système actuel de « santé » est de vaincre les maladies. Quid du maintien de l’humain dans son intégrité ? Même si les protocoles techniques peuvent être mieux respectés, conduisant à une réduction des accidents médicaux, ce n’est pas cette voie qui pourra mieux prendre en considération le patient dans son entièreté, son équilibre et son harmonie.

A côté du soin, nous constatons l’importance croissante du « prendre soin » (care) pour les professionnels de santé. Cet attachement à la manière de prodiguer le soin, d’accompagner le patient, est progressivement apparu comme essentiel, mais sa couverture n’est pas suffisamment englobante. Dans le care ne rentre pas par exemple la suppression des pesticides dans l’alimentation, ni la désertification des sols qui pousse à l’utilisation d’intrants pour produire des aliments pauvres nutritionnellement et riches en produits toxiques, qui ne sont d’ailleurs pas dosés.

Le problème principal mettant en péril l’intégrité de notre système de santé, c’est que le soin semble être d’abord considéré comme un puissant moteur économique, puisque les dépenses de soin augmentent le PIB national. Mais notre représentation de l’économie, comme la pensée technoscientifique, ignore les êtres, les gens et les cultures. Elle participe à l’indifférence au monde et aux souffrances humaines : il a fallu qu’il y ait un petit corps d’enfant pris sur une plage à Bodrum en Turquie, le 2 septembre 2015, pour que s’éveille notre sensibilité à la condition des migrants, qui mourraient déjà par centaines dans la Méditerranée. La condition humaine, ce n’est pas le réalisme trivial, c’est surtout l’imaginaire, le mythologique, l’affectif. Force est de constater que l’économie est devenue une science bien trop belle, car elle mathématise, elle « statistise » la réalité : 300 morts de ci, 400 morts de là font disparaître la chair, le sang, les passions, les souffrances, les bonheurs, les blessures. Dans notre système de santé, il est à craindre que le moteur économique ait pris le pas sur le soin à la population : en clair, plus la société est malade, et plus il y a matière à enrichissement pour quelques-uns, et si nous disposions d’une baguette magique pour faire disparaître toutes les maladies, ce serait une dérive financière colossale avec des millions de chômeurs.

Les limites de la santé par la technoscience

Notre conception courante de la santé par l’économie du soin n’est donc pas la bonne, et comme nos ancêtres ont réfléchi à la question sanitaire avant nous, nous pouvons nous y référer pour tenter de comprendre les questions de santé en rapport avec la salubrité de notre environnement sociotechnique et la prise en compte des équilibres naturels.

Avant la sédentarisation et l’agriculture, l’homme a d’abord vécu en symbiose avec la nature, en payant toutefois un lourd tribut puisque la moyenne d’âge devait tourner autour de trente ou trente-cinq ans. Il se trouvait dans la nature comme sujet, les dieux qu’il consultait pour prendre ses décisions étant empruntés à l’espace naturel (l’arbre, etc.). Puis comme le précise la Genèse, l’homme devint maître de la nature : « Soyez la crainte et l’effroi de tous les animaux de la terre et de tous les oiseaux du ciel, comme tout ce dont la terre fourmille et de tous les poissons de la mer : ils sont livrés entre vos mains » (Gn, 9, 1-2). La révolution scientifique et industrielle a ensuite rendu l’homme « comme maître et possesseur de la nature », selon l’expression de Descartes, « ce qui n’est pas seulement à désirer pour l’invention d’une infinité d’artifices, qui feraient qu’on jouirait, sans aucune peine, des fruits de la terre et de toutes les commodités qui s’y trouvent, mais principalement aussi pour la conservation de la santé, laquelle est sans doute le premier bien et le fondement de tous les biens de cette vie » [6, VIe partie, pp. 162-3]. Puis est advenue l’ère pasteurienne de l’hygiène bactérienne, virale et parasitaire, enfin celle de la prise de conscience très progressive de l’action de l’homme sur les écosystèmes et l’écosystème planétaire, appelée l’anthropocène, terme initié par le météorologue et chimiste Paul Crutzen, prix Nobel de chimie en 1995. En effet, l’homme est devenu, depuis le développement des technosciences, maître, possesseur et destructeur de la nature, des écosystèmes dont dépend sa survie, en générant ce faisant des pathologies croissantes avec leur cortège de souffrances.

Descartes pensait que la science et les techniques pourraient permettre de conserver notre santé, ce bien si précieux. Y sommes-nous arrivés ? Avant Pasteur, on mourrait principalement de maladies infectieuses, des guerres (sur le sol français, nous vivons pour la première fois sans guerre depuis plus de cinquante ans), de famine (provoquées en grande partie par les guerres) et de carence de techniques chirurgicales pertinentes (on pouvait mourir d’appendicite ou d’infection consécutive à un coup d’épée dans la cuisse). Avec la découverte des bactéries et la mise en place de l’hygiène bactérienne, avec la découverte des antibiotiques – littéralement, de molécules contre la vie, avec le développement extraordinaire des techniques médicales et chirurgicales, tant pour le diagnostic que pour les thérapeutiques, nous aurions pu espérer une amélioration de la santé de la population. Eh bien, pas du tout ! La longévité moyenne a certes considérablement augmenté depuis la fin du XVIIIe siècle, mais elle diminue aux États-Unis et commence à diminuer en France de la même façon. Cette contre-performance est due à tous ces produits chimiques polluants et toxiques répandus de toutes parts. Avant le XXe siècle, les personnes qui mourraient à des âges comparables à la survie moyenne actuelle, c’étaient ceux qui avaient eu la chance d’échapper aux maladies infectieuses, et qui n’avaient pas fait de pathologie nécessitant une intervention chirurgicale. Depuis la seconde moitié du XXe siècle, un nouveau profil pathologique émerge dans la population, celui des pathologies environnementales, des affections dites chroniques non transmissibles, alors que ces pathologies peuvent être transmissibles, avec les phénomènes épigénétiques – Christian Vélot nous en parlera plus loin. Ces pathologies – cancers, troubles neurologiques et psychiatriques, diminution du QI au cours du dernier demi-siècle – comme l’expose en particulier Barbara Demeneix [5] – ont un coût social important, mais aussi un coût en termes de souffrances pour les patients et leur entourage. Si un coût était donné à la souffrance, comme celui des souffrances endurées dans les expertises médicales, le système de soins actuel ne serait plus soutenable. Cette dégradation de la santé humaine trouve son équivalent au niveau des écosystèmes qui souffrent d’une perte jamais égalée de biodiversité animale – près de 50% des espèces disparues, plus de 50% des individus par population également disparus en cinquante ans. Ces affections chroniques sont dues aux activités humaines : vous connaissez tous cette phrase attribuée à Hannah Arendt, « le progrès et la catastrophe sont l’avers et le revers d’une même médaille ».

L’incurie toxicologique

L’inquiétude concernant l’impact sur la santé des techniques nouvelles et de la dégradation de l’environnement s’est rapidement manifestée. La toxicologie, qui est faite pour mesurer les produits chimiques toxiques, a été mise sur pied au début du XXe siècle, mais avant la seconde guerre mondiale, chaque pays établissait ses tests, ses propres normes toxicologiques à l’égard des nuisances chimiques et physiques, sans dispositif de coordination d’un pays à l’autre. Cette toxicologie a été organisée à l’échelle mondiale par l’OMS et l’OCDE après la seconde guerre mondiale, et l’unification s’est mise en place de façon progressive.

Soixante-dix ans après, nous constatons que les protocoles toxicologiques réglementaires et les normes d’utilisation qui en découlent n’ont pas été, loin s’en faut, aptes à protéger les écosystèmes et les populations qui en dépendent. Loin d’être en première ligne pour interdire la mise sur le marché des produits délétères pour la santé et les écosystèmes, la toxicologie est instrumentalisée dans la perspective d’obtenir coûte que coûte une autorisation de mise sur le marché. Cet objectif principal nous fait quitter le service de l’homme – comme l’économe des temps anciens, qui gérait les biens de la maison – pour entrer au service de l’économie elle-même, du Veau d’or, pour enrichir quelques-uns aux dépens de la majorité. Des études toxicologiques sont commanditées, réalisées et interprétées par le producteur, considérées comme secret industriel ou relevant du droit de la propriété intellectuelle. Ce sont les producteurs qui donnent les résultats aux agences d’accréditation. Aucune transparence ni aucun débat contradictoire n’est donc possible. Les protocoles toxicologiques sont incomplets et ne permettent pas toujours de mettre en évidence le danger des produits étudiés (études trop courtes, ne tenant pas compte de la bioaccumulation, des effets cocktails, etc.). Les structures chargées de surveiller l’état de l’environnement et de faire respecter les normes (DREAL, CODERST) s’appuient sur des normes toxicologiques officielles inaptes à nous protéger. Les agences sanitaires ne sont ni indépendantes, ni transparentes, comme en témoignent les différentes affaires de conflits d’intérêts dans le monde entier. Les lanceurs d’alertes sont l’objet d’intimidations et de brimades, tandis que l’industrie publie des contrefeux pseudo-scientifiques pour « noyer le poisson » lorsque l’évidence scientifique se manifeste. Les instances académiques et sanitaires se mobilisent parfois en soutenant l’industrie, privilégiant l’aspect économique sur la santé des écosystèmes et des populations, tandis que les assureurs, les autorités politiques (comme les agences sanitaires) et scientifiques (comme l’Académie des sciences ou l’Académie de médecine) demeurent en retrait. Finalement, la crise sanitaire survient, alors qu’elle avait été prédite plusieurs années, voire plusieurs dizaines d’années avant [1] [2] .

Retrouver la santé

Nous étions avertis depuis très longtemps de ce lien entre santé et environnement. Nos anciens maîtres, nos médecins nous y avaient initiés, tel Héraclite (500 ans avant Jésus-Christ) : « L’état de santé de l’homme est le reflet de l’état de santé de la terre ». Considérons donc l’état de santé de la terre pour avoir une idée de celle de nos contemporains. Hippocrate : « l’aliment est ton premier médicament » ; Dans le Traité des airs, des eaux et des lieux, Hippocrate indique que pour approfondir la médecine, il faut considérer d’abord les saisons, connaître la qualité des eaux, des vents, étudier les divers états du sol et le genre de vie des habitants [8]. Ils avaient bien compris que l’environnement est important pour estimer l’état de santé des Hommes.

Il nous faut donc maintenant définir l’environnement. Pour Einstein, « L’environnement, c’est tout ce qui n’est pas moi ! » Puisque parfois nous sommes amenés à séparer les choses pour mieux les relier, nous avons différentes catégories d’environnement : en premier lieu l’environnement biologique, toute la biocénose, le vivant dont nous faisons partie, sur lequel l’hygiène pastorienne a travaillé ; puis l’environnement chimique, qui a connu un essor colossal depuis l’avènement de la chimie minérale et de la chimie organique de synthèse au début du XXe siècle – Gilles-Éric Séralini a rappelé le rôle des firmes allemandes de chimie dans ce domaine. Ce développement industriel a conduit à répandre des centaines de millions de tonnes de xénobiotiques sur la planète(2) ; l’environnement physique, avec les rayonnements ionisants – Annie Thébaud-Mony les a magistralement évoqués tout à l’heure, les rayonnements électromagnétiques et surtout la transformation climatique radicale dans laquelle nous sommes engagés ; enfin, un environnement qui me tient à cœur et qui est le champ d’observation des sciences humaines (sociologues, anthropologues, philosophes), à savoir l’environnement socioanthropologique : nos affections, notre bien-être découlent aussi des sociétés et de leurs choix de développement : on ne présente pas les mêmes symptômes dans un hôtel particulier du XVIe arrondissement parisien et dans un bidonville comme la « jungle » de Calais.

Dans notre façon d’appréhender la santé des hommes, il nous faut maintenant la comprendre comme un équilibre au sein de ces différents environnements, ce que permet d’ores et déjà la réglementation internationale en matière de santé. Lors de la Conférence d’Helsinki en 1994, l’OMS établit ainsi que : « La santé environnementale comprend les aspects de la santé humaine, y compris la qualité de la vie, qui sont déterminés par les facteurs physiques, chimiques, biologiques, sociaux, psychosociaux et esthétiques de notre environnement. Elle concerne également la politique et les pratiques de gestion, de résorption, de contrôle et de prévention des facteurs environnementaux susceptibles d'affecter la santé des générations actuelles et futures. » Cette définition est confortée en France par la Charte de l’environnement promulguée le 28 février 2005 sous forme de loi constitutionnelle, laquelle énonce notamment dans son article premier que « chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et favorable à sa santé ». Elle fonde l’ensemble des politiques environnementales et la jurisprudence française dans ce domaine. Cette dimension environnementale demeure pourtant largement ignorée par le système en charge de notre santé et par la réglementation sanitaire de nos pays industrialisés. Le XXIe siècle devra donc être le siècle de l’hygiène chimique, voire physico-chimique.

L’insuffisance des abords courants de la question sanitaire réside dans les limites de la pensée médicale actuelle, fondée sur la vision pastorienne de la maladie et sur le soin, et incapable de penser la complexité du monde et de nous protéger efficacement. Nous n’avons pas de vision écosystémique de la santé et du corps humain, et cette carence favorise le déni du lien entre santé et environnement. Dès 1866 pourtant, le biologiste Ernst Haeckel a établi l’écologie comme « la science des relations des organismes avec le monde environnant, c'est-à-dire, dans un sens large, la science des conditions d'existence » (Generelle Morphologie der Organismen, 1866 [7]). C’est bien cette science-là que devrait investir la médecine ! Pour un de mes professeurs, Jean-Paul Deléage(3), « L'écologie est la matrice vivante d'une nouvelle conscience et d'une nouvelle culture : celles de notre appartenance à la nature, celles de la présence de la nature au plus profond de nous-mêmes, êtres humains, à la fois parties et acteurs du système global de la nature » [4, p. 16]. Dans la perspective d’une authentique promotion de la santé, il faut donc commencer par élargir notre notion du « prendre soin » (care) à la vigilance quant à nos modes de production, à commencer par celle d’une nourriture dotée d’une richesse nutritionnelle satisfaisante et dénuée de produits toxiques, à la primauté de la préservation de nos équilibres vitaux et de la santé des populations sur tout autre objectif. Il nous reste plus fondamentalement à nous mobiliser pour un projet de société qui soit davantage respectueux et protecteur des êtres et de la ressource commune.

Références

[1] Agence européenne de l’environnement, Signaux précoces, leçons tardives, 2002.  Retour texte

[2] Agence européenne de l’environnement, Late lessons from early warnings : science, precaution, innovation, 2003.  Retour texte

[3] Béraud C, Mortalité et morbidité des soins médicaux. http://www.claudeberaud.fr/?110-mortalite-et-morbidite-des-soins-medicaux, 15 novembre 2014.

[4] Deléage J-P, Une histoire de l’écologie. Paris : Éditions du Seuil, collection « Points Sciences », 1994.  Retour texte

[5] Demeneix B, Le cerveau endommagé. Paris, Éditions Odile Jacob, mai 2016. Retour texte

[6] Descartes R, Discours de la méthode, 1637. Éditions Le Livre de poche, 1976 (édition originale : Librairie Générale Française, 1973). Retour texte

[7] Haeckel E, Generelle Morphologie der Organismen – Allgemeine Grundzüge der organischen Formen-Wissenschaft, mechanisch begründet durch die von Charles Darwin reformierte Descendenz-Theorie. Berlin : Verlag von Georg Reimer, 1866. Retour texte

[8] Hippocrate, De l’art médical. Éditions Le Livre de Poche, 1994. Retour texte

[9] Makary MA, Daniel M, Medical error—the third leading cause of death in the US. BMJ,353:i2139, 3 mai 2016. doi: 10.1136/bmj.i2139 Retour texte

[10] Rambaud C, « Les accidents médicaux reconnus 3e cause de décès aux USA », 10 mai 2016. http://www.lelien-association.fr/asso/?les-accidents - Retour texte

[11] Réseau d’alerte, d’investigation et de surveillance des infections nosocomiales (Raisin). Enquête nationale de prévalence des infections nosocomiales et des traitements anti-infectieux en établissements de santé, France, mai-juin 2012. Résultats. Saint-Maurice : Institut de veille sanitaire, 2013. http://www.invs.sante.fr - Retour texte

Notes de survol

(1) Loi n° 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, JORF n°0167 du 22 juillet 2009.

(2) La production chimique s’élevait à 3 millions de tonnes en 1930, et à 420 millions de tonnes en 2010, de la même façon qu’il y a 150 ans en Occident nous faisions avec nos pots de chambre, ce qui était la cause de nombreuses épidémies, de la prolifération des rats.

(3) Jean-Paul Deléage était alors professeur au service d’anthropologie officiant de la Faculté de médecine René Descartes, rue des Saint Pères à Paris.