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 la lettre d'information nº23
Octobre 2020

É   D   I   T   O

Terraformation

En 1930, dans Les derniers et les premiers de Olaf Stapledon, ce terme est « inventé » pour préparer, transformer pour nous accueillir sur une autre planète. Après les V1 et les fusées de la guerre froide, l'envie d'explorer au-delà est devenue prégnante. A ce jour, conquête spatiale et connaissances croissantes n'ont pu aboutir, pour préparer de futurs nids, ailleurs. Entre-temps, les auteurs de science-fiction ont détourné le sens au profit de tiers venus d’ailleurs, en visite pour évaluer notre planète Terre.

Lors de leurs retouches environnementales, l’opération de « terraformation » menait en règle générale à l'extinction d'espèces "inutiles"...

A ce jour, nous avons pris notre avenir en main ; mais l’actuelle terraformation est endogène car nous-même agissons, décidons ou acceptons contraints ou non cette opération. Souvent simple exécutant ou simple consommateur, nous y « œuvrons » pas à pas.

Par manque de vigilance nous sommes « encouragés » par des tiers qui pour des raisons d'organisation, de mercantilisme ou de gouvernance, favorisent cette terraformation, maille après maille, collant comme une toile d'araignée, finement et patiemment tissée. Quelle que soit notre date de naissance, pour la moindre petite chose, vous vous heurtez à cette toile.

Terraformation binaire,
Terraformation chimique,
Terraformation par la
marchandisation de tout acte…

Christian Lefebvre

  L’arbre...  

Les bilans globaux, climatique ou énergétique (comme s'il existait un rapport de l'un à l'autre), et notamment le plus en vogue tournent autour du carbone avec un tas de calcul d'équivalence sur les CFC, le méthane des permafrost ou du cul des vaches. Ça peut aider mais ça reste une vision globale, utilitariste et bien anthropocentrique. Ces bilans, compte tenu de leur hauteur de vue ne voient pas les détails et oublient jusqu'à l'histoire dans leur précipitation à aboutir à une solution.

Ainsi on oublie que la cause première du bois est l'arbre mort. Un arbre abrite et nourrit toute une vie (parfois métaphysique) qu'on aurait tort de négliger même si elle est microscopique et se décline sous de multiples façons. La vie se repait de ses cadavres tout en captant quelques minéraux.

L'arbre est tué pour faire du bois avant même d'être mort au terme d'une vie qui pourrait dépasser Mathusalem en longévité. Le bois relarguera son carbone rapidement par la fumée ou plus lentement (comme Mathusalem) dans un bois d’œuvre. Des toitures couvertes de bardeau de châtaigner résistent à des siècles d'outrages et des charpentes encore davantage sauf si on les brule comme à Notre-Dame.

Les bilans de l'instant ne valent rien lorsqu'ils omettent la dynamique. Si tout le carbone du bois récolté (qui n'est pas la totalité de l'arbre abattu) part en fumée, ça donne intégralement ou presque du gaz carbonique dans l'air. Si le bois n'est pas récolté (mort de sa belle mort) et reste sur place, il entame un lent processus de minéralisation qui produit du gaz carbonique mais aussi des bricoles comme des carbonates (forme minérale stable et de grande longévité) et même parfois du pétrole (tout aussi stable jusqu'à ce que l'homme s'en mêle). Un arbre c'est aussi un rapport au sol, presque une relation d'amour qui enfante notamment de matières humiques que l'eau dans sa grande joie à refaire le monde emporte un peu plus loin et rassemble dans des alluvions. En principe cette eau est buvable et fertile en aval.

Autour de Saint-Etienne, pour les besoins de la mine à charbon, voilà plus de deux siècles qu'on a rasé des hêtraies sans âge pour y planter du sapin utile au boisement des mines (soutènement des galeries). Ce type de soutènement a vite cédé la place à des moyens plus métalliques. L'utilité première a disparu, les sapins se sont naturalisés dans le paysage, les hêtraies ne sont pas réapparues, l'eau est chargée de matières humiques qui n'ont plus rien à voir avec celles des forêts des feuillus. C'est là un désavantage technique certain en ce qui concerne la potabilisation de l'eau de consommation. C'est aussi comment une utilité éphémère de l'industrie pourrit pour longtemps une ressource abondante mais d'une bien piètre qualité.

Des exemples anodins de ce type sur le long cours sont pléthore. Mais le détail de la matière humique comme de la microflore des sols échappe complètement à la vue de haut-perchés pourtant bien peu myopes sur leurs intérêts.

Pareillement, toujours sous couvert de calculs, dans la Creuse, on s'apprête à abattre de grandes surfaces de chênes qui seront remplacés par des sapins pour les besoins de l'anthropocène.

Et plus près d'ici, pour les "besoins" d'électricité éolienne, on va massacrer des hectares de tourbières dans les montagnes.

Chaque arbre porte une histoire mais cette histoire est indifférente à ceux qui écrivent le récit de l'histoire. Il faut plusieurs siècles à une tourbière pour s'établir, est-il encore nécessaire d'expliquer à des haut-perchés l'intérêt de l'arbre ou de la tourbière ? Je pense que non et qu'il faut abattre le perchoir et sans plus tarder, du moins avant que l'homme ne redevienne ce singe descendu de l'arbre par simple inadvertance et non par la grâce d'un dieu si plein de clémence pour les perchoirs...

Et vous avez échappé à un supplément de laïus engageant l'arbre, ses fruits et des arrangements humains avec des communs font un prémisse de l'enclosure.

On a dit que l'outil puis la machine éloigne de plus en plus l'homme de son sol. C'est imparfait, le langage notamment chiffré fait beaucoup plus de ravages, c'est lui qui introduit la distanciation avant même toute élaboration d'outil. Et j'en prends pour preuve la distanciation sociale dont la masse fait l'objet actuellement. Juste quelques outils de médiation du langage sont nécessaires mais c'est la perte de contact quasi-totale pour qui refuse le passage par les artefacts. Est-ce bien sûr ou ce bannissement numérique n'est-il qu'une promesse ?

De la part d'un qui a chevauché plus d'un arbre sans jamais être trahi par aucun d'eux.

Pascal Peyrat

  La covid et nos contradictions 

Plusieurs articles disent que la covid redonne de la vigueur au principe de précaution. Mais le point aveugle est que le même argument (covid) est mis en avant par les industriels qui militent pour le principe d’innovation, typiquement progressiste et croissantiste. Un même fait peut donc servir deux causes opposées. Il faut donc entrer dans le discours des deux pour voir que la précaution évite certains problèmes quand l’innovation pourrait peut-être en atténuer les effets négatifs. Certes, les sociétés chimiques polluent, manipulent les données, cachent les effets négatifs, mais elles proposent aussi des médicaments. Hélas, certains, par haine du capitalisme ou du « système », nient que certains des médicaments nous soignent. Certains nient aussi qu'il existe une maladie Covid. Est-ce que la meilleure façon de s’opposer au système industriel ? Ou serait-il mieux de dire que ces firmes nous font entrer dans une dépendance/hétéronomie envers elles très bien analysée par Illich ? Je penche pour Illich. Attention, l’approche radicale comporte un autre point aveugle. Dans un monde sans propriété, sans argent, sans travail ("juste et pur" ?) où tout le monde mangerait bio, je suis certain qu’il y aurait encore des cancers, des leucémies etc. Donc faire envisager une absence de maladie dans le monde idyllique qu’on promet est une forme de messianisme qui me fait peur. D’ailleurs c’est le même messianisme que celui des transhumanistes. Et il est soutenu par des écolos ! Ici aussi il faut se méfier des contradictions qui resurgissent aux détours des raisonnements.

Hervé le Meur

  Forçage génétique : naturel ou pas ? 

Avec l’aimable accord d’Inf’OGM de septembre 2020

Le forçage génétique force, non seulement l’organisme, mais aussi toute l’espèce donc aussi son écosystème. Est-il naturel ? Cette question, lourde de présupposés, est mal posée. Après avoir dit les chausses-trappes, décrit ce qui existe et les arguments en faveur d’une réponse positive, nous justifierons un point de vue plus général. On comprendra pourquoi cette question risque d’oblitérer les vraies questions politiques, épistémologiques et économiques du forçage génétique.

Tout d’abord, il faut se départir de l’idéologie que ce qui est naturel est bien. La nature n’est ni bien ni mal. Elle est. De même, argumenter qu’elle serait bénéfique resterait une position utilitariste étrangère à l’équilibre dynamique des organismes et des écosystèmes qu’on pourrait appeler la nature. Cet équilibre dynamique peut même conduire à sa propre disparition (disparition des dinosaures, etc).

Certains végétaux peuvent tuer. Dans une société qui identifie la vie (de l’individu !) comme étant le Bien, la mort sera identifiée comme le Mal. Défendre la mort mériterait des livres1, mais il faut voir que la mort de chaque organisme (humain ou pas) rend possible que l’espèce s’adapte puisque d’autres naissent. La mort des organismes rend donc possible l'évolution de la vie. À un autre niveau, l’immortalité de certaines cellules s’appelle un cancer et elle condamne l’organisme. Qu’un élément soit naturel n’empêche pas qu’il puisse blesser ou tuer. Mais il n’est ni Bien ni Mal. Il est. Il faut abandonner la pensée dualiste qui oppose le Bien et le Mal. La sélection des espèces nous y aide.

La définition de la nature a déjà motivé des bibliothèques entières. L’homme est-il dans la nature ou à l’extérieur ? Est-ce que ce que fait la nature est toujours du registre de la nature ?

A retrouver l’article sur https://technologos.fr/doc/res/FG_naturel_VF.pdf

Hervé le Meur

  La machine s’arrête : fiction, anticipation ou prophétie ?  

Relatif à une nouvelle de science-fiction de 1909, La machine s’arrête, par Edward Morgan Foster

Quelques commentaires glanés :

Une lumineuse critique de notre société technicienne, écrite avec un siècle d'avance. Forster imagine une civilisation où la communication se fait à distance, où les écrans sont omniprésents et où tout le monde est à la merci d'une gigantesque machinerie. Il s'interroge sur le dépérissement de l'humain dans un milieu devenu aussi artificiel. Les similitudes entre ce qu'il décrit et l'emprise actuelle d'Internet sont frappantes.

La Machine nous a volé le sens de l’espace et du toucher, elle a brouillé toute relation humaine, elle a paralysé nos corps et nos volontés, et maintenant elle nous oblige à la vénérer. La Machine se développe – mais pas selon nos plans. La Machine agit – mais pas selon nos objectifs. Nous ne sommes rien de plus que des globules sanguins circulant dans ses artères.

« Tu ne dois rien dire contre la machine »

L’auteur ne fait pas de prophétie mais il a fait de la poésie. A lire pour ceux qui veulent prendre des frissons dans le dos. Dans la même veine, Rosny Ainé a écrit la mort de la terre (n'est plus édité). Tout ça se distingue un peu de la science-fiction contemporaine dans la mesure où la fin est irrémédiable : pas de rescapés et surtout ne pas attendre le salut par un héros, un dieu ou une quelconque autorité (homme ou machine). C'est cette dernière proposition qui est à retenir. Sans doute qu'il y a un siècle on n’hésitait pas à brosser l'avenir le plus sombre car on ne tombait pas encore dans ce positivisme dégoulinant qui peuple les mentalités du 21° siècle.

L'échappée a publié "Le gaffeur" de Jean Malaquais, c'est plus fouillé, le héros du livre n'est qu'un personnage principal sans plus. Ses déboires le conduisent à une fin surprenante dans une société à l'organisation très fine (le temps est très finement organisé et pas forcément par le travail, cela ne rappelle rien ?). Plus qu'un récit c'est une critique qui va plus loin que 1984, le meilleur des mondes, etc. (300 pages, 20€ et en plus c'est greenwashé, l'encre est verte !).

Sur la surveillance vidéo, la concentration et la banalité du mal télévisuel : Amélie Nothomb : "Acide sulfurique". Ecrit il y a une bonne vingtaine d'année, on pouvait le lire à l'époque comme on a lu Forster à son époque et lire ces deux différemment  dans une conjoncture bien différente. Ce sont là des lectures rapidement édifiantes pour l'esprit, mais à ne surtout pas prendre à la lettre.

On peut aussi voir du côté de "Fahrenheit 451", pas tant pour la combustion des livres (le plus connu) que pour les murs d'image. Et puis avec le nouvel ordre de la relation humaine numérique, quelques provisions peuvent aider à passer le cap au cas où 451°F.

Souvent la peur du mal conduit au pire. Le mal une fois connu fait moins peur, le pire est évité. Le contemporain court bien trop vers un supposé grand bien pour saisir ce que Forster et cie ont pu évoquer. Le contemporain est un lévrier qui prend un leurre pour un bon lièvre à croquer, il lui faut des pistes bien entretenues et propres. Jusqu'au jour où la peau de banane... Nos dirigeants ont une prédilection pour la chasse à courre et regarde depuis la tribune les lévriers courir, mais on peut aussi chasser à l'affût, observer le lièvre et délaisser la direction, elle ne peut pas aller loin toute seule, pas plus musclée que quiconque.

Pascal Peyrat

  L’idolâtrie de la vie 

L’idolâtrie de la vie, d’Olivier Rey est un petit livre. L’auteur y analyse ce que la COVID nous dit de notre société, mais surtout de son rapport à la mort et donc à la vie.

Excellent lecteur d’Illich, l’auteur soutient que plus le système (de santé) croît, plus l’attente envers lui croît et, in fine, plus il déçoit. Mais ce qui reste de ce processus est que les citoyens en attendent toujours plus. Ainsi la seule opposition admissible à des techniques concerne le risque sanitaire (on le voit avec les OGM). Alors que la vie était définie comme « union de l’âme et du corps », elle est devenue « ensemble des phénomènes et des fonctions essentielles se manifestant de la naissance à la mort et caractérisant les êtres vivants ». Dans ce basculement se cache une définition fonctionnelle et, finalement utilitariste de la vie, qui se veut neutre, mais est surtout froide, je dirais scientifique. Le mot « vie » a donc été vidé de son sens, permettant de maintenir un héritage de transcendance et son déni. C’est un double langage ou un double lien qui nous tiraille. D’une part, l’individu est moralement émancipé des transcendances comme promis par la modernité, mais d’autre part, il se soumet aux puissances (État, Ministère de la santé, …) qui protègent la vie qui est devenu le bien le plus sacré. N’est-ce pas un sacré transféré à la Technique (Ellul) ?

La solitude du mourant est accrue par le fait que des autorités scientifiques et techniques confisquent le diagnostic, reléguant le patient/mourant à un état de mineur alors qu’on nous promettait une majorité !

Jusqu’à la fin, Olivier Rey renvoie dos à dos d’une part les gouvernants qui nous infantilisent et d’autre part les citoyens dépendants envers les différents systèmes techniciens mais à prétention d’indépendance. Ces derniers demandent toujours d’être mieux gérés, mais donc d’être gérés. L’amour de la liberté pourrait y voir une contradiction.

Hervé le Meur

  Je suis un arbre 

Je suis là attaché à des racines
Là où la terre me fut hospitalière
Là, cramponné à des racines oubliées
Invisibles, robustes et radicales
Je pousse en liberté
Ma liberté est un rêve
Il est d’aller aux étoiles
Aller seul ou en compagnie

Seul au milieu d’un champ
Je suis un arbre
Je suis une ombre

Le soleil épouse ma ramure
Le vent de bise me caresse
Rêve de caresse et bise de rêve ?
Parfois un vent mauvais se lève
Violent et capricieux
Résister coûte que coûte
Pour quelques rêves encore
Pour l’amour de la terre aux racines

Les mauvais vents sont si durs
Je suis un arbre
Je suis une ombre

Là-bas, des camarades font bloc
A l’orée, les plus robustes
Affrontent les caprices
S’appuyant sur leurs suivants
C’est une habitude pour eux
L’habitude est un abri
L’abri est un repos
Ah, rejoindre un abri ?

Mes racines s’y refusent.
Je suis un arbre
Je suis une ombre

Sous mes ailes
On se rassemble, on pépie
On s’ébat, on s’endort
On se raconte, on s’écoute
On palabre, on s’entend
J’entends ce chant cordial
Saison après saison

Il se loge sous ma peau
Je suis un arbre
Je suis une ombre

Transplanté, émondé, taillé
Etêté, couturé de cicatrices
Point de registre de naissance
Et encore moins de préfecture,
Je n’ai plus d’âge
Une peau ni lisse ni dorée
Plutôt grise et ridée
Les plaies ajoutent aux rides

Mes feuilles se font rares
Je suis un arbre
Je fais de l’ombre

On va m’abattre
Oublier mes racines
Je suis un deuil d’histoires
Je suis un cri de rage
Je vais dire mon âge
Et dire le chant cordial

Vous le lirez dans mes anneaux
J’étais un arbre
J’ai fait de l’ombre

Je suis bois de feu
Au jeu d’ombre et de lumière
On m’entoure et se réchauffe
Je chauffe le fer pour mieux le battre
Je suis bois d’oeuvre
Sculpté par la main de l’artiste
Haché menu puis comprimé en panneau

Qu’est donc un bois sans ombre ?
J’étais un arbre
Je suis bois
Je ne fais plus d’ombre,
Je suis utile !
Mais je ne suis à personne
Et le soleil a moins d’ombre


de Pascal Peyrat

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